Comme beaucoup d'élèves moyens, mais studieux, Life is Strange fait de son mieux, il travaille avec régularité, ne ménage pas ses efforts, sait sourire quand il faut pour plaire au professeur, au point que même si ses résultats ne suivent pas, on a envie de gonfler ses notes pour l'encourager. Il a beau être maladroit, tâtonnant, excessif, il n'en est pas moins touchant, un peu comme un enfant qui apprend à marcher les deux bras en l'air. Sa façon jusqu'au-boutiste de faire rebondir ses choix (d'une belle intensité émotionnelle, parfois) à travers le temps, de les faire et de les défaire, s'accorde à merveille à son soundtrack gracieux, un peu hipster, mélancolique juste ce qu'il faut, au point de transfigurer certaines scènes, certaines crises insoutenables, certains éclairages, certains twists pourtant laborieux.
Sauf que voilà, à trop vouloir bien faire, Life is Strange en fait trop, et son mieux devient l'ennemi de son bien.
Le rythme de son intrigue pâtit lourdement de cette volonté quasi-autistique de permettre au joueur d'interagir avec la plupart des objets à portée de regard, de pouvoir dialoguer LONGUEMENT avec trop de personnages secondaires, sans que le joueur puisse jamais savoir s'il peut faire l'impasse ou s'il doit s'arrêter tous les deux mètres pour s'infliger chaque digression pesante que le jeu lui propose.
Conséquence immédiate : le fil narratif se délite d'autant. Au lieu de s'investir émotionnellement, on ouvre tous les tiroirs, on jette un oeil à toutes les affiches, on fouille dans toutes les poubelles pendant que l'héroïne se sent obligé de commenter mentalement chacune de nos pauses-narration, jusqu'aux plus évidentes ("c'est un miroir, je me reflète dedans". Thank You, Captain Obvious).
Le jeu a tellement peur du vide qu'il se sent obligé d'en rajouter tout le temps. A tort. Alors que la concision pourrait rendre l'ensemble poignant, le moindre échange de parole s'étire à l'infini jusqu'à en devenir douloureux, et on a beau chercher à passer outre, à l'excuser, à faire comme si on ne s'ennuyait pas, on aura du mal à s'illusionner encore après quinze minutes de cours magistral sur les écureuils - au point qu'un Virginia, pourtant muet et 6 fois plus court, émeut davantage.
Là où Telltale équilibre ses épisodes à la perfection en réduisant judicieusement le nombre d'interactions possibles (au détriment d'un réalisme contre-nature dans ce type de productions), Life is Strange se perd dans ses propres circonvolutions, dilue son intérêt jusqu'à l'effacer presque, s'étale à grand renfort de phases de recherche artificielles ou d'énigmes parfois hors-sujet, plaquées sur le jeu pour étirer sa durée sans que jamais le joueur soit dupe de la manœuvre.
Difficile de ne pas s'en agacer, si sincère et différent qu'il puisse être.
Trop classique, voire trop caricatural, le scénario ne suffit pas à tenir en haleine tant il a déjà été lu, vu et joué en mieux (L'Effet papillon en tête), encombré qu'il est de grosses ficelles, d'ellipses faciles, de références geeks indigestes (car indigentes) et de gênantes surenchères dramatiques (sans parler de l'identité du criminel, aussi prévisible que consternante, ou de la façon dont les personnages ont été vieillis de deux ou trois ans au dernier moment pour ne pas choquer le chaland, entraînant nombre d'incohérences...). Aussi est-ce finalement dans son épisode final que le jeu "ose" le plus, et introduit (à peine, hélas) ses meilleures idées, celles-là qui auraient dû le nourrir dans son entièreté et qui auraient pu le sublimer. Comme si ces choix moraux qui font son intérêt (et qui, ma foi, le font fort bien) avaient également contraint sa trame à ronronner sagement, dans sa bulle, loin des outrances qu'elle aurait dû se permettre, et qu'une fois débarrassé de ces contraintes formelles, l'intrigue pouvait enfin prendre de l'ampleur. Mais trop tard.
On voudrait s'émouvoir de son dénouement, vraiment, sauf qu'on devine le choix final dès l'épisode 1 et qu'on s'y est longuement préparé, entre deux parenthèses sur l'art de la photo ou sur les oiseaux qui tombent du ciel. Impossible alors d'avoir le coeur lourd sitôt la touche fatidique pressée. Impossible, également, de ne pas en vouloir au jeu pour ça.
Aurait-il été bouclé en 5 heures qu'on le lui aurait pardonné sans mal.
Avec le double au compteur, la pilule a du mal à passer.